mercredi 21 mai 2014

Intraitable Charité


 
Giotto
 
Je suis de plus en plus intérieurement obsédé par le concept absolu de Charité. Comme l’avait écrit saint Paul, c’est la vertu théologale eschatologique par excellence, la Foi et l’Espérance n’étant « que » des vertus propitiatoires et pré-apocalyptiques, dont plus personne n’aura besoin face à la Parousie agissante. Or, en notre temps directement opératif de guerre conflagrationnelle totale, c’est la Charité mise en œuvre par l’Esprit qui ensoleille notre route et qui arme nos volontés unificatrices.

Deux textes récents montrent, chacun à sa manière, l’impérieuse nécessité de transmuer la fausse charité moderne, toujours déployée au bénéfice du mensonge, de la paresse et de la rentabilité, en une authentique et intraitable charité évangélique.
 

http://elogedesphenomenes.blogspot.fr/p/le-livre.html

 
Le dernier ouvrage de Bruno Deniel-Laurent est un plaidoyer pour l’Idiotie, c’est-à-dire l’irréductibilité radicale, la solitude intransigeante, la singularité absolue. Comme je l’écrivais naguère, un Idiot est quelqu’un qui se prend pour ce qu’il est, et seuls les médiocres le confondent avec l’imbécile qui se prend toujours pour plus futé qu’il n’est. Prétendre qu’on est intelligent, c’est la définition même de la connerie.
Chaque village avait jadis son Idiot vivant dans l’ivresse permanente ; aujourd’hui les villes sont pleines d’imbéciles alcooliques.

L’Idiot est une majuscule solitaire, face à la masse grégaire des minuscules imbéciles.

BDL fait cette merveilleuse déclaration dans son interview vidéo pour Max-Milo : « A la face des imbéciles, il faut rappeler que l’Idiot participe pleinement à la polyphonie du monde ».

On a effectivement beaucoup plus de chances de rencontrer un trisomique lors d’une cérémonie anniversaire de la confrérie Parousia à l’hostellerie dominicaine de la Sainte Baume, que dans un cercle sédévacantiste, un meeting complotiste ou une réunion de travail sur la spéculation financière.

BDL s’élève dans son livre contre une fausse charité bien spécifique : celle qui consiste à pratiquer l’avortement pour le bien des mongoliens, puisqu’ils ne sauraient vivre que dans la souffrance et les ennuis de tous ordres. Je cite « Pour une théorie du monde multipolaire » de Douguine : depuis que l’Occident est entré dans les temps modernes, « il agit sous la bannière des Lumières, du Progrès, de la Science, de la Laïcité et de l’Intellect, et lutte contre les préjugés du passé, au nom d’un avenir meilleur et de la liberté humaine ». C’est vrai dans tous les domaines, de la géopolitique à la spiritualité, des mœurs à la technoscience : l’Occident nous occupe tout en prétendant nous libérer. Sa dynamique d’expansion réside tout entière dans la fausse charité, aussi bien lorsqu’il s’agit de « libérer » la France en 1945 dans le but caché de l’asservir ou de généraliser la pratique de l’avortement des mongoliens pour leur éviter une prétendue vie mortifère. Cette « politique d’éradication charitable » est le socle de la modernité occidentale, intimement liée à la rationalisation des rapports humains et la propagande athéistique. Le livre de BDL nous démontre que même l’amour de parents pour leur enfant, fût-il trisomique, peut être massivement anéanti au nom d’impératifs économiques. 96 % de bébés mongoliens tués dans l’œuf, 20 % d’enfants de familles homoparentales victimes de pédophilie (contre 2 % pour des enfants de parents normaux), décès quotidien de deux petits en France sous les coups de leur famille,… Les statistiques modernes n’aiment pas les enfants.

Les agnostiques n’ont aucune limite, ce qui est tout à fait normal. Si le Marquis de Sade est le seul athée que je respecte, c’est bien parce qu’il est totalement conséquent avec lui-même, l’inexistence de Dieu abolissant de facto toutes les bornes éthiques. Pour moi, c’est très clair : tout athée qui n’a pas mutilé au moins un bébé dans un but de satisfaction sexuelle ou esthétique est un lâche, un menteur et une ordure. Il n’est donc aucunement question de se plaindre auprès du neurobiologiste darwinien Jean-Didier Vincent, en lui demandant de restreindre le taux d’IVG pour les petits trisomiques : il refusera, et il aura entièrement raison. Il s’agit tout simplement d’abolir la République et de réinstaurer un Roi très-catholique ; Jean-Didier Vincent sera alors immédiatement sommé d’obéir à la loi du Christ, et il aura tout intérêt de le faire, et tout rentrera dans l’ordre (ou plutôt, le désordre juste).

Ce livre de BDL est un véritable appel chrétien au sens des limites, contre l’illimité agnostique. Cela peut sembler comme couler de source, mais c’est un combat diamétralement opposé à celui de Dominique Venner et de toute la Nouvelle Droite en général. Dans son livre « Un samouraï d’Occident », Venner veut démontrer que l’Occident est plongé dans « la métaphysique de l’illimité » depuis la (prétendue) victoire de Jérusalem sur Athènes. Selon lui, la « logique interne d’expansion irrésistible » de notre monde moderne est directement liée à l’extension du christianisme, dont l’athéisme des Droits de l’Homme n’est qu’un avatar profane. C’est la fameuse théorie historique qui veut que l’humanisme soit une sécularisation du christianisme. De toutes manières, c’est très simple : tout est de la faute du Vatican… Ce ne sont pas les skinheads, les gauchistes, les complotistes, les « dissidents », les matérialistes, les sionistes, les éditeurs « provocateurs », les sédévacantistes, les féministes, les libéraux, les néo-droitistes, les antifas, les humoristes, les cathares, les pédés, les journalistes ou les psychanalystes qui me diront le contraire.
 

 
Rembrandt
Chesterton écrivait peu ou prou : « Quand on ne croit plus en Dieu, ce n'est pas pour ne croire en rien, c'est pour croire en n'importe quoi ». Par exemple au Progrès ou à la Démocratie. Ou alors que les maux de notre civilisation viennent de ce que l’on ne vénère plus Belenos ou Odin depuis deux mille ans. Au passage, notons que c’est le paganisme romain qui a interdit toute pratique du paganisme celte en Gaule, bien avant les premiers pas de Marie-Madeleine dans la calanque de Marseilleveyre… Alors, quand on me parle de la tolérance des païens sur le plan religieux, j’ai un peu de mal à comprendre… Il n’y a pas eu de « lente évolution ayant conduit du christianisme à l’athéisme des Lumières » (comme l’écrit Venner), mais une lente prise de pouvoir de la bourgeoisie entrepreneuriale protestante ayant pesé de tout son poids sur les nouvelles techniques comme l’imprimerie pour faire valoir ses idées libérales. Le protestantisme c’est du lettrisme, c’est-à-dire la chosification de la lettre, ce qui est la définition même de l’imprimerie. Contrairement au protestantisme, le cœur du catholicisme n’est pas la Bible, mais Jésus-Christ. Dire que la technique « prométhéenne » toute-puissante prend ses racines dans la conscience catholique, c’est aussi bête que d’accuser Saint Paul d’être la cause première de la misogynie ou de l’antisémitisme. Les hommes ont la religion qu’ils méritent, et si le christianisme s’est répandu comme un feu de paille il y a deux mille ans, c’est peut-être bien aussi parce que les hommes ne méritaient plus d’être païens. Et je suis persuadé que Venner le savait au fond de lui, son dernier geste le prouve à coup sûr…

Bruno Deniel-Laurent a donc tout à fait raison de vouloir démontrer que la mesure et l’équilibre, valeurs intrinsèquement spirituelles et chrétiennes (mais aussi bouddhistes, musulmanes ou celtiques), sont les seules aptes à pouvoir se dresser contre « l’idéologie occidentale du progrès », cette démesure boursouflée comme un gâteau pourri. Un gâteau partagé par les transhumanistes, ces futuristes de l’infantilisme, et les économes avorteurs de mongoliens. Un gâteau moisi qui ne sort certainement pas des cuisines de L’Hôpital et ses Fantômes, hardiment gardées par Vita Jensen et Morten Leffers, plongeurs trisomiques et amis de l’Idiot Lars von Trier.

L’ouvrage de BDL n’est pas un manifeste social, mais un placide épiphénomène des convulsions naissantes. D’autres œuvres de tous ordres s’ensuivront, et la Puissance des Ténèbres reculera comme d’elle-même.

 
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que tout progressisme est un nazisme. La loi du plus fort est l’antienne des Lumières et du monde moderne, ce qui n’est paradoxal que pour les imbéciles. Je l’ai déjà écrit : seule une société rigoureusement organisée en castes strictement hiérarchisées permet de protéger les pauvres, les faibles et les petits travailleurs. Malgré ses évidentes qualités esthétiques, méta-politiques et archéo-dionysiaques, il faut quand même reconnaître que le Troisième Reich hitlérien avait quelques défauts, parmi lesquels on peut citer l’anti-slavisme rabique (dont l’antisémitisme était une composante initiale), l’hostilité farouche envers l’Eglise catholique et la glorification intransigeante de la Technique toute-puissante. Mon avis est que ces erreurs sont intimement liées entre elles, et qu’elles s’ancrent dans une lecture tout à fait erronée de l’Antiquité romaine. J’y reviendrai prochainement. L’eugénisme de masse d’Aktion T4 et la persécution d’évêques bavarois s’inscrivent dans la logique du luthérianisme nürnberger contre celle du catholicisme métaphysique, c’est-à-dire dans la victoire cosmogonique de Dürer (lire la Genèse avec les yeux d’Aristote) sur Giorgione (lire Platon avec les yeux de Saint Jean).

D’ailleurs, notons que ces erreurs fondamentales (anti-russisme, anti-catholicisme et méta-technicisme) se sont toutes trois transfusées, d’une manière ou d’une autre, dans la mentalité occidentale d’après 1945, et sont des « valeurs » aujourd’hui partagées par les tenants de l’idéologie occidentale du Progrès, c’est-à-dire presque tout le monde.

Marc-Edouard Nabe l’avait écrit dans son tract « Et Littell niqua Angot ». « Quand on voit les connards de trente ans de notre époque, on n’a aucune peine à imaginer qu’à la fin des années vingt en Allemagne d’autres trentenaires aient pu trouver dans le nazisme une nouvelle façon de penser et d’agir... […] Je connais beaucoup d’antinazis d’aujourd’hui qui auraient fait d’excellents SS d’hier… […] Le système totalitaire du Troisième Millénaire sait très bien comment était fabriqué celui du Troisième Reich, car le premier est entièrement calqué sur le second : dans sa structure, sa logistique, ses mécanismes, ses dispositifs de manipulation des masses... Le public n’a plus qu’à obéir à ce nazisme « soft » qu’est le spectacle médiatique à outrance, construit de façon peut-être encore plus perverse que celui du Führer. »
 

http://www.alainzannini.com/index.php?option=com_content&view=article&id=3257:leunuque-raide-texte-integral&catid=41:breves&Itemid=56
 
J’en viens naturellement au second texte charitable dont il me faut traiter ici. Il s’agit de « L’Eunuque Raide » deNabe, publié dans L’Infini n°126 (Printemps 2014).

Rappelons qu’un texte avait été précédemment publié dans cette même revue durant l’été 2000 sous le titre « Mon meilleur ami », évoquant les traits vaniteux et fourbes de Stéphane Zagdanski. Ce dernier est un ennemi notoire de Nabe, un anti-catholique de plus, auteur d’une série de vidéos obscurément logorrhéiques, où il se plait notamment à évoquer longuement « les falsifications pauliniennes », et à clamer par exemple : « Les juifs sont nettement moins benêts que les catholiques sur la question du Mal, c’est quand même eux qui ont inventé Satan ».

 
Jordaens

Lorsqu’un écrivain s’attaque à un homme de pouvoir, cela s’appelle du courage. Quand il s’attaque à un anonyme, cela s’appelle de la charité. Bloy portraiturant des journalistes insignifiants ou Jésus renversant les tables pour chasser les marchands du Temple, c’est pareil : il s’agit à chaque fois de s’en prendre à la Puissance des Ténèbres qui, contrairement à ce que « pensent » les « dissidents », n’a jamais de nom spécifique, et qui s’exprime – ou plutôt, se désincarne – à travers de pauvres êtres falots dénués de tout patronyme. Certains disent que cela ne sert à rien de s’en prendre à de tels vermisseaux, mais ils ont tort : c’est une manière très chrétienne de tenter de les extraire de la perdition, en prenant la peine de les honorer par une bastonnade publique (eux qui sont loin d’en mériter autant). Zagdanski, lui, n’est pas anonyme, mais Nabe ne le nomme pas : c’est peut-être encore plus charitable de sa part.

Zagdanski met en scène un faux dialogue sur Simone Weil entre Nabe et lui-même, dans un chapitre de son pensum « De l’antisémitisme » (1995). Commentant le tableau de Jordaens, il prétend à un moment expliquer le geste de Jésus chassant les marchands, par le fait que ces derniers vendent « des animaux, autant dire du non-temps, donc du non-argent. Autrement dit les marchands vendent l’invendable. Ils marchandent le Temps en troquant du non-temps ». En les chassant, Jésus « fait œuvre d’intériorisation du non-temps par le Temps ». D’accord. Et le fait que ça se passe dans un Temple ne dénoterait-il pas également, et à tout hasard, une volonté de Jésus de découpler l’argent des pratiques religieuses ? Absolument pas, nous répond Zagdanski. Cela signifierait que « le Christ serait venu faire par avance le boulot de Luther : démonétiser la religion. Ce que Simone Weil, comme tout le monde, traduit en : déjudaïser le rapport à Dieu. C’est éminemment risible ». Et c’est antisémite, bien sûr.

« Je me charge de sauver l’âme de mon meilleur ami », écrivait Nabe en 2000, mettant ainsi en relief l’exercice d’une authentique et intraitable charité, contre la fausse charité de son meilleur ami qui, paraît-il, ne manque jamais un mendiant dans la rue par peur de louper à nouveau le Messie.

 « Pour mon meilleur ami, toute personne qui n’est pas de son avis est un antisémite, un homosexuel, ou un Français ». Par ailleurs, et de manière tout à fait logique, on peut noter que Zagdanski est pour la France contre la Gaule. « La France pour moi, dis-je, c'est Paris. Le reste du pays ne m'intéresse pas » (in Pauvre de Gaulle !). Comment pourrait-il donc prétendre un tant soit peu à l’Idiotie ? « Surtout quand on sait quelle idée raciste mon meilleur ami se fait du Français », poursuit Nabe. « Est français tout ce qui n’est pas lui, alors que lui est le plus français de nous tous, dans ce qu’il reproche au Français : lourdeur et insensibilité, arrogance, bêtise psychologique et cécité narcissique ».

Zagdanski a parfois raison, mais cela n’a aucun intérêt. Il ne s'agit pas pour un écrivain d'avoir raison ou tort, encore moins d'être sincère ou non : il s'agit d'être exemplaire, de montrer le scintillement de la lumière du Vide pulsatile et originel, le Vide qui libéra le plein à l’origine des temps.


Mais je dus vite déchanter. Ce texte est une longue litanie dégueulasse, anti-goy tous azimuts : contre Mel Gibson et son film sur la Passion, contre « les objurgations de Tarik Ramadan », contre toutes les religions non-juives (« le judaïsme seul a su ne pas s’abraser en une vulgate populaire accessible sans effort d’interprétation et de méditation »), et surtout contre l’islam, « qui s’est débarrassé de la paternité du judaïsme d’une manière comparable au truquage lexical opéré sur le Nouveau Testament à l’aube du christianisme historique ». Et, évidemment, contre les attentats palestiniens : « Les ultimes combattants du ghetto de Varsovie qui se firent sauter à la grenade en feignant de se rendre aux nazis étaient eux, dans une véritable impasse, inéluctablement destinés au massacre. Leurs suicides furent des actes de courage désespérés. L’attentat suicide palestinien relève par comparaison d’une profonde lâcheté enflée d’un puéril espoir libidinal ». Quand un jeune écrivain se fait exploser à la préface de son livre, lui-même plein de mauvaise foi atrabilaire, on entre dans cette inédite dimension de la bêtise sûre d’elle-même nommée la peur de l’Idiotie rayonnante.

En fait, on ne peut pas vraiment dire de Zagdanski qu'il soit un écrivain ; il se situe entre le lecteur et l’homme de lettres, ce qui est un tout petit peu mieux qu'intellectuel. Il n'a de cesse de tenter de désigner le point précis où brille la lumière, il tourne rationnellement autour de cette singularité comme un phalène attiré par la beauté de Dieu, mais il lui est strictement impossible de quitter véritablement son corps concret pour se jeter dans le vortex ascensionnel de l'Amour total.

A sa manière, Zagdanski est un libéral – à preuve, son anglophilie maniaque répétée dans « Pauvre de Gaulle ! » -, et donc, un authentique nazi (voir la démonstration plus haut).

Malgré les apparences, Zagdzanski est un fanatique de l'écran (cette page blanche sur laquelle copulent l'ironie et la psychanalyse). Il n'aime le corps que dans la mesure où il est entièrement contrôlé par la raison : c'est le crime nazi par excellence. S'il retourne sans cesse à son avantage les critiques d'autoglorification et d'arrogance qui semblent lui être souvent adressées, c'est parce qu'il est gorgé d'un quant-à-soi qui l'empêche – et il semble que cela soit inguérissable – de s'abîmer dans la débilité cosmique.

Pas assez intelligent pour comprendre que l'intelligence n'est qu'une marche d'escalier et non pas le sommet d'icelui, il est hanté par une haine fondamentale de l'Idiotie. Son plus grave handicap est d'être dégoûté par la transe : Zagdanski n'aime pas lâcher prise ; d'où son rejet de la pornographie, de l'hypnose et de toute immédiateté moléculaire, ainsi que de « la musique, la nature, la mer, la pénétration, les nuages, les animaux, et la littérature ». A sa manière, Marc-Edouard Nabe attaque Zagdanski pour son incapacité radicale à comprendre l’Idiotie, c’est-à-dire être « incapable de jouir » de par son « manque flagrant d’incarnation verbale ».

Le profond sionisme de Zagdanski vient du fait qu’il préfère de loin « l’incarnation de la lettre » dans la création de l’Etat d’Israël, à l’incarnation du Verbe dans la personne du Christ. En bon révisionniste déconstructiviste, il découvre chez Bernard Dubourg la preuve de l’inexistence historique de Jésus (« Jésus n’a jamais eu d’existence concrète, son nom et ses dires furent élaborés plusieurs siècles avant notre ère par de très savants sectateurs juifs – les futurs ‘chrétiens’ - en référence cabalistique au Josué de la Bible »), et il aboie gélatineusement dans une de ses vidéos-ruisselets :

« Par la défiguration de l’aletheia en veritas, par la construction impériale de l’ecclesia, par une conception de l’étant sous le seul rapport de la suprématie et de la création, ce qu’il n’est que dans la version gréco-latine de l’Ancien Testament et jamais dans l’hébreu original, où il n’y a pas de sens à parler d’étant, et peut-être même d’être, le christianisme est en Occident le véhicule majeur du nihilisme et qu’il a partie liée avec ses ultimes conséquences ».

Oui, j’ai bien entendu : « Le christianisme est en Occident le véhicule majeur du nihilisme »… Encore un pour qui tout est de la faute du Vatican. Zagdanski parle de « l’immense édifice factice de la théologie catholique », et il cherche ironiquement ce qui, dans le christianisme, « mérite d’être sauvé ».

Il faut vraiment faire montre d’une incommensurable et intraitable charité, pour vouloir sauver une telle andouille.

La charité, ce n’est pas ce que les lecteurs remarquent le plus souvent chez Nabe. Et pourtant, c’est probablement la vertu théologale qu’il pratique le plus intensément. Si la charité de BDL consiste à vouloir limiter l’avortement des Idiots, celle de Nabe consiste à tenter de ressusciter un imbécile – le ressusciter temporairement et une seule fois, car « on ne meurt que deux fois ». Il le fait dans « L’Eunuque Raide », une tragi-comédie en un acte pour bayou crépusculaire, une cérémonie vaudou littéraire et codée où, entre golems argileux au proscenium et copulations semi-zandées en arrière-scène, entre Toto le courier (il arrive sur la droite) et le fossoyeur jardinier (je suppose qu’il arrive sur la gauche), Zagdanski-le-zombie pousse des râles de majorette égorgée pour étouffer les rafales de critiques, et surtout pour ne plus entendre le vaillant Toto qui s’évertue à dire à ses potes que la fête est finie. Il se déguise parfois maladivement en sa grand-mère à la manière d’Anthony Perkins, comme pour répondre à une description entamée dans « Mon meilleur ami » en 2000.

L’Eunuque Raide, c’est l’homme qui a vraiment arrêté d’écrire – et depuis longtemps – pour mixer des images. Lui, l’ironique anti-iconique, qui finit sa carrière en DJ littéraire sans produire aucun remix original…

J’aimerais noter rapidement la cohérence spéculaire de ce numéro 126 de l’Infini, où tous les textes se reflètent et s’amplifient en celui de Nabe suivant d’étranges correspondances picturales : la présence féérique de Shakespeare évoquée par Sollers dans son texte inaugural se déploie sous les traits du fantôme persistant de Hamlet, lequel voltige des mains de la femme de Toto jusqu’au crâne déterré par le fossoyeur, avant d’être finalement manipulé par l’Eunuque Raide, ce Monstre de Frankenstein ; le golem De Gaulle « lance des messages codés pour la radio londonienne » (« Il n’y a que le Chancelier pour croire que le Messie de Meyronnis est un bon texte ! »), qui sont qualifiés de vers surréalistes aussi bien par Toto que par Sollers dans son entretien ; et en plaçant cette saynète sur ce champ de bataille beyrouthin qu’est le Cimetière des Amis pour la Vie, cette vallée de misère où tous les voisins sont minables et racistes, Nabe prouve que la littérature n’est pas autre chose qu’une continuation de la guerre par d’autres moyens, comme l’a presque écrit Steinbeck. Il n’est pas jusqu’à la dernière page de l’index final de la collection L’Infini qui ne se retrouve également éparpillée en pluie de merde sur les trente-trois pages du texte de Nabe…

A la fin, L’Eunuque Raide  profère la dernière parole du dernier jour. Cette fois, la fête est bel et bien finie. Le sifflet du gardien vient de résonner par-dessus les tombes. Nabe écrivait dans son roman « Alain Zannini » (2002) qu’il aurait pu faire l’effort, à l’époque, de l’appeler « Judas Zigoto ». C’est chose faite !

Le Docteur Nabe convie musicalement les imbéciles à se pendre à une branche d’arbre, car il n’y a aucune autre solution pour eux que le suicide quand ils se font sonder les entrailles par ce vrai docteur qui dit toute la vérité (tout le contraire d’un arracheur de dents).

L’anti-messe est dite. Laisser vivre les Idiots et se pendre les imbéciles. Nous bénissons la Charité de l’Esprit Saint. Deo gratias.

6 commentaires:

  1. Un livre à lire : Philippine : la force d'une vie fragile, de Sophie Chevillard Lutz, la maman d'une fille handicapée mentale. Elle nous raconte la réaction du personnel médical lorsque, apprenant que sa fille serait atteinte d'un grave retard mental, l'idée de ne pas la soustraire au génocide des idiots ne l'a même pas effleurée. Après son accouchement, elle avait une grande crainte qu'une infirmière "compatissante" n'abrège cette vie forcément "insupportable". Pour connaître une personne travaillant dans un service de néonatalogie, je peux confirmer que c'est effectivement ce qui se passe quasi-systématiquement. Ai-je besoin de préciser que Sophie Chevillard Lutz est chrétienne ?

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  2. L idiot croit en dieu parce qu'il ne sait pas, l imbécile parce qu'il sait. C'est ça?

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    1. L'Idiot connait Dieu sans le savoir. L'imbécile ignore qu'il ne connait pas Dieu.

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  3. Un livre clef sur la Charité et sur la "charité triomphaliste" : "Amour et Vérité" de Jean Borella (ancien titre : La charité profanée). Chaudement recommandé par l'ami Luc-Olivier d'Algange.

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  4. "ces erreurs fondamentales (anti-russisme, anti-catholicisme et méta-technicisme) se sont toutes trois transfusées, d’une manière ou d’une autre, dans la mentalité occidentale d’après 1945, et sont des « valeurs » aujourd’hui partagées par les tenants de l’idéologie occidentale du Progrès"
    Il me semble plutôt que le nazisme est une des conséquences de l'idéologie du progrès, le fait que ces valeur se soit popularisé après la seconde guerre mondiale n'implique pas que les valeur nazi se soit insinué à la majorité après sa disparition, mais bien que l'idéologie première de ce mal pré-existait tant au nazisme qu'à nos contemporains qui suivent cette idéologie toujours plus populaire.
    Je vois plutôt le nazisme, le bolchévisme et le fordimses comme trois conséquences de l'idéologie du progrès, la dernière de ces idéologies cité étant celle qui domine encore notre monde même si elle a mué maintes et maintes fois bien sûr.

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  5. Bonjour,

    pourquoi appeler charité le simple plaisir d'écraser un cafard ?

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