IN MEMORIAM Ezra Pound
Mon texte "POUND AU MILIEU" explore les liens de Pound avec Confucius.
"C'est bien parce que la Chine dort qu'elle pilera l'Occident".
IN MEMORIAM Ezra Pound
Mon texte "POUND AU MILIEU" explore les liens de Pound avec Confucius.
"C'est bien parce que la Chine dort qu'elle pilera l'Occident".
Je traîne ma détresse à Zagreb d'église en cimetière, sous un ciel tantôt lumineux tantôt orageux...
C’est la deuxième fois que je me rends dans cette cité dont les facettes mystérieuses, étranges, voire occultes, ne se laissent révéler que fort difficilement, contrairement à bien d’autres villes européennes où il n’est que de porter le regard vers certaine toiture délibérément exubérante, quelque capricieuse anfractuosité murale, caniveau de traviole ou revers de palissade oblique pour surprendre aussitôt la présence, toujours vivace ou bien ne survivant que par halètements temporels fort diffus, de quelqu’un ou quelque chose situé en dehors de l’espace-temps commun, au-delà de la communauté visible des êtres et des choses immédiatement accessibles à vos sens les plus concrets. Ainsi, Prague, Lyon, Édimbourg ou bien Budapest, villes délibérément magiques où le moindre promeneur un tant soit peu expérimenté saura franchir le seuil pour accéder à ces chemins transversaux que nos ancêtres celtes, et avant eux indo-européens, et bien avant eux hyperboréens, avaient tracés dans le but de se rendre d’un point à l’autre du continent eurasiatique de manière instantanée, ces lignes de ley permettant de pénétrer de manière dérobée dans l’un des recoins du Royaume des Fées, mus par l’énergie tellurique de ces mégalithes qui constituaient, comme avait su le voir Roger Gilbert-Lecomte, des phrases mentales ancrées dans l’encrier lumineux de notre terre noire, plus noire que le noir le plus noir, terre noire mais belle.
Et dire qu’à l’exception d’André Douzet, personne ne connaît l’existence de ces menhirs cachés dans les caves du quartier Saint Jean de Lyon…
Zagreb, non, c’est tout à fait autre chose. Longtemps, je m’y suis couché de bonne heure, ne comprenant vraiment pas l’intérêt de m’y promener de nuit… Il faut porter une attention suprême aux zones traversées, frôler certains espaces avec suffisamment de lenteur pour espérer surprendre un dédoublement de la réalité, tenter de deviner sur lequel de ces trottoirs dormait jadis Jean-Paul Bourre... Il y a par exemple cette porte de bois médiéval encadrée de deux troncs d’arbres distordus au coin de la Jurja Žerjavića et de la place du Théâtre National - entrée probable de l’appartement d’un vampire habsbourgeois ; la kafkaïenne rue serpentine Radičeva au pied des remparts de la colline de Gradec, la cité royale ; le terrifiant espace dévolu à Nikola Tesla au sein du Musée des Techniques, où l’on apprend l’importance du Faust goethéen dans l’inspiration du diagramme du premier moteur à courant alternatif ; les tombes vêtues de lierres du cimetière à arcades de Mirogoj, où je me dissimulai derrière un ange de pierre pour pleurer ; et puis cette très-curieuse bâtisse à quatre étages sur la place centrale du Ban-Josip-Jelačić… ô celle-ci j’ai mis du temps à la distinguer, alors !... nantie d’une façade incrustée de colonnes doriques tanquées sur les étages supérieurs (comme on peut le voir un peu partout dans les quartiers chics de la ville), le toit symétriquement surmonté de gardiennes de pierre aux seins à demi voilés encadrées par de terribles dragons sur la défensive, prêts à bondir sur tout ennemi du Roi dalmate Tomislav Ier… Il y a bien sûr ce long tunnel tout à fait luciférien sous la Mesnička, construit en 1940 et servant aujourd’hui à je-ne-sais quels rituels ultra-confidentiels.
Je n’oublie pas ce petit square délabré - chose très rare à Zagreb, situé au bas de la Nike Grškovića, à l’angle de la vaste Medveščak : une placette nantie d’un buste de Duro Daković, métallurgiste et militant communiste des années 20, fusillé… buste planté au pied de la bâtisse la plus étrange de la ville : une haute maison partiellement en ruines, le mur presque décati, pas de porte d’entrée, trois arcades au premier étage, des médaillons fleuris dont le sens m’échappe, et un second étage en retrait ; sur la droite, un petit balcon avec une fenêtre ouverte sur l’au-delà.
Mais le point le plus important de Zagreb n’est pas là... Ni même à l’emplacement de cette fontaine juste au pied de la bâtisse sus-décrite, marquant le lieu d’une source magique qui donna son nom à la ville.
Non, ce qui est absolument fondamental, à Zagreb, c’est la visite du Musée des Cœurs Brisés, tout là-haut, sur la rue principale de la colline royale. C’est au mois de juillet de l’an dernier que j’avais découvert cet endroit, lors de ma première venue en Croatie… Je venais alors de divorcer, et j’avais absolument besoin de connaître un lieu comme celui-ci… Il s’agit d’un musée sans artiste ni œuvre d’art, mais pas à la façon de ces espaces d’exposition anémiés qui s’accumulent dans nos villes d’Occident… ici, nous avons affaire à une juxtaposition tout à fait joycienne d’histoires vécues – des histoires non pas d’amour, mais marquant la fin d’un amour, pouvant aussi bien être sentimental, sexuel, familial ou spirituel. Chacune de ces ruptures est représentée par un objet emblématique de l’histoire, donné au musée par le narrateur ; un objet systématiquement daté et localisé, portant à lui seul toute la charge émotionnelle de la rupture : un anti-Ready Made absolu. Ces briques d’émotions anonymes finissent par bâtir l’équivalent d’une cathédrale post-moderne. Mille fois mieux que du Régis Jauffret. Les allées du musée sont toutes parcourues de splendides créatures féminines en profonde expectative…
Voici quelques-unes de ces histoires de Cœurs Brisés, définitivement cruelles, d’une beauté parfois bouleversante, éclats cristallins de notre fin de civilisation, qui ne cessèrent de m’arracher des sanglots en cascades…
Billets pour les Jeux Olympiques au Mexique, en 1968
1968-1993 – Mexico City, Mexique
J’étais très jeune et amoureuse de mon voisin. Pour me rapprocher de lui, j’ai demandé à ma mère de l’inviter avec nous aux Jeux Olympiques, qui se déroulaient au Mexique, en 1968. Ma famille avait déjà acheté tous les billets donnant accès à presque toutes les compétitions. Il accepta volontiers. Deux ans plus tard, nous sommes sortis ensemble. Après six ans de relation, nous nous sommes mariés et avons eu deux magnifiques enfants. Nous avons divorcé en 1993, mais j’ai gardé ces billets comme un trésor précieux. Après tout, j’avais réussi à conquérir le plus beau de tous les voisins.
À présent, je suis à nouveau mariée, cette fois-ci avec un étranger. Je n’ai pas eu d’autres enfants, mais les deux enfants que j’ai eus ont grandi et sont devenus aussi beaux que leur père. Ils m’ont donné des petites-filles merveilleuses.
Ces billets ont toujours réveillé d’émouvants souvenirs et je n’ai jamais pu les détruire.
Meubles miniatures
Un an et trois mois – Jeju, République de Corée
Avec mon copain, nous imaginions notre maison future et avions du plaisir à passer notre temps à fabriquer de minuscules meubles et à les disposer ici et là.
Puis, avant même de finir la peinture des meubles, nous avons décidé de nous séparer.
Une bouteille en forme de Vierge Marie avec de l’eau bénite
1988, 2 mois – Amsterdam, Pays-Bas
Pendant l’été 1988 j’ai rencontré mon amant de passage à Amsterdam. Il faisait une halte au cours de son voyage. Il venait du Pérou et découvrait l’Europe en train. On s’est rencontrés au Disco Bouddha. Peu de temps après on est tombés l’un sur l’autre dans la rue, il est venu chez moi et y est resté environ deux mois. Soudain, il disparut. J’ai trouvé une lettre d’au revoir avec cette petite figurine, qu’il avait spécialement ramenée du Pérou dans l’espoir de rencontrer un nouvel amour.
Ce qu’il ne savait pas, c’est que j’avais un jour ouvert son sac, et trouvé un sachet en plastique rempli de ces bouteilles mariales. Je ne l’ai jamais revu.
Téléphone portable
12 juillet 2003 – 14 avril 2004
Zagreb, Croatie
Cela a duré 300 jours de trop.
Il m’a donné son portable afin que je ne puisse plus jamais lui passer de coup de fil.
Croûte vieille de 27 ans, en provenance de la plaie de mon premier amour
1990 – 1993
Mürzzuschlag, Autriche
En 1990, mon ami, mon premier grand amour, a eu un accident de moto. Il s’en est sorti avec de sévères égratignures et plusieurs grosses croûtes. Bien que sans gravité, cet accident me secoua fortement. Après ça, j’ai vécu dans la peur constante de perdre l’être qui m’était le plus cher. C’est pourquoi j’ai gardé l’une de ses croûtes après qu’elle se soit détachée, dans l’idée (pas très sérieuse évidemment) qu’un jour, s’il le fallait, je pourrais cloner mon ami. À cette époque, j’étudiais la biologie… Finalement, ma constante inquiétude a fini par causer notre rupture. Paradoxalement, ma peur engendra exactement ce qui me terrifiait le plus.
J’ai gardé cette croûte jusqu’à ce jour, 27 ans exactement. Bien que, depuis, je sois devenue biologiste, je n’ai plus du tout envie de cloner mon partenaire d’antan. Cependant, je continue à lutter contre mes peurs…
Set de stylos d’acupuncture
2007 – 2009
Pittsburgh, États-Unis
Durant les deux ans que nous avons passés ensemble, j’étais tout le temps malade. Elle croyait fermement aux médecines orientales et me préparait des soupes, des potions et herbes spéciales. Elle a commandé pour moi ce set spécial de stylos d’acupuncture.
Je ne les ai jamais utilisés. Ma santé changea presque immédiatement après notre rupture. Depuis, je suis rarement malade.
Deux soutiens-gorge
De la fin des années 60 au 23 mai 2011
Caythorpe, Grantham, Royaume-Uni
Mon Dieu, ça fait loin – plus de quarante ans. Ça a été une relation très intime, qui a commencé dans mon adolescence et qui fut globalement facile, ce que j’ai peut-être eu tendance à prendre pour acquis. Nous rencontrions des problèmes de temps en temps, mais pas de déception majeure, et les années passaient.
Puis, après le nouvel an 2011, les choses se sont détériorées d’une manière assez brutale. Ma maladie fut diagnostiquée et je ne pus plus compter sur mon corps. D’abord mes cheveux tombèrent, ce qui ne me dérangea pas vraiment. En fait, j’aimais bien le fait de pouvoir expérimenter turbans et perruques, et les looks variés qu’ils permettaient. Perdre la santé et mon tonus musculaire a été un peu plus difficile, mais j’ai quand même réussi à conserver une bonne image de moi-même pendant la chimio.
Puis vint le coup de grâce – ce mot commençant par M. En un trait de couteau chirurgical, l’image que j’avais de moi-même fut détruite.
Ma relation avec ce nouveau moi est encore à construire. Finis les petits soutiens-gorge en dentelle et les bains de soleil topless, finis les déshabillages insouciants dans les vestiaires publics ; à présent, j’observe dans le miroir une personne que je ne connais pas et que je n’aime pas particulièrement.
Dans quelques années, je recevrai un nouveau sein. Cela me permettra peut-être de retrouver la relation perdue avec mon corps. J’ai hâte que ce jour vienne.
Godzilla en plastique décoré de colliers
1990 – 1992
Mexico City, Mexique
J’ai gardé ce Godzilla pendant plus de 20 ans, un cadeau d’une fille qui voulait vivre avec moi. La relation s’est brutalement interrompue quand j’ai emménagé dans mon nouvel appartement.
Un jour, je lui ai dit que j’aimais les films de Godzilla, ceux qu’enfant je regardais à la télé. Après notre séparation – en de très mauvais termes, le Godzilla me servit pour accrocher quelques souvenirs de mes autres copines, comme des colliers ou des boucles d’oreille.
Du haut de mon étagère, les yeux perçants de Godzilla furent les témoins de toutes les allées et venues dans mon appartement. Après toutes ces années, je crois qu’il est temps qu’il suive son propre chemin…
Matériel de parachutisme
3 ans
Helsinki, Finlande
Je l’ai rencontré lors de mon premier saut en parachute. J’étais terrifiée, mais ce bel homme, qui était mon instructeur de saut en tandem, m’a « sauvée ». Par la suite, il m’apprit à sauter toute seule.
On a aimé jouer dans le ciel et on s’est aimés.
Il est mort dans un accident de parachute.
Boussole Lensatic
Octobre 2010 – février 2011
Londres, Royaume-Uni
Une relation brève mais intense. Il m’a promis le monde et dans cet esprit-là, m’a offert à Noël cette boussole afin qu’on reste sur la même trajectoire.
Alors que je m’étais engagée en toute confiance, il me quitta sans cérémonie un samedi matin en disant : « Je n’y arrive pas ».
Depuis, plus une trace, plus un mot. La signification si romantique de ce cadeau change drastiquement et ironiquement avec le recul – comme s’il pensait que j’allais en avoir besoin.
Il s’est trompé.
Un sablier
Juillet – septembre 1985… et aujourd’hui
Sacramento, Etats-Unis
Le temps qui passe.
Été 1985. J’avais quatorze ans et lui, presque le double. Je faisais un camp, et lui était animateur. La plupart des gens s’arrêtent à ce point de l’histoire et se détournent, dégoûtés. Vous ferez peut-être de même. C’est compréhensible. Il s’agit d’une différence intolérable d’âge et de position. Mais moi, la fille qui jadis avait 14 ans, j’ai récemment décidé de pardonner. En faisant ceci, j’ai libéré mon esprit de la prison dans laquelle il vivait depuis plus de trente ans.
Oui, ce qui s’est passé entre nous, la loi le définit comme de l’abus, une atteinte sexuelle sur mineur. Mais ces termes ne recouvrent pas vraiment mon expérience. Les thérapeutes et les juristes m’appelaient « la victime ». J’ai passé des dizaines d’années à le diaboliser, opposant un mur à toute véritable intimité, essayant d’oublier que cette relation avait bien eu lieu.
Quand mon enfant a approché de ses 14 ans, mes souvenirs ont refait surface. J’ai alors repensé à ce qu’il s’était passé, ne souhaitant pas que mon enfant vive une expérience comme la mienne. Ce fut un traumatisme. Mais une part de ce traumatisme tenait au jugement des gens extérieurs. C’est ce jugement qui m’a fait courber la tête et m’a replié sur moi-même pendant si longtemps.
Parfois, on aime la mauvaise personne. Parfois c’est la mauvaise personne qui vous aime. En dépit de tout cet aspect mauvais – et il y en avait dans cette histoire – tout au fond, il peut quand même y avoir de l’amour.
Récemment, je l’ai retrouvé via internet. Nous sommes maintenant tous les deux d’âge mûr – parents et mariés. Nous avons eu des discussions douloureuses à propos de cet été-là, mais elles étaient également réparatrices.
Contrairement à ce que l’on a essayé de nous faire croire, dans notre histoire, il n’y a pas eu de monstres – juste nous deux, dans toute notre faiblesse et notre beauté, notre solitude et nos besoins, faisant de notre mieux à l’époque.
Cela n’a pas suffi, c’était pourtant tout ce que l’on avait.
Baguette en bois
Avril 2006 – mai 2010
Whitehorse, Canada
Mon ex-partenaire et moi avons partagé quatre années d’aventures, d’amour, de peines et d’erreurs. À la fin d’un été qu’il avait passé à planter des arbres dans la région de Kootenay alors que je vivais sur les îles Gulf en Colombie-Britannique, il est rentré avec un cadeau pour moi – une baguette en bois. Initialement, il y avait à un bout de la baguette un morceau de fluorite qu’il m’avait acheté pendant son séjour au Mexique, l’hiver précédent. Il m’a raconté que la baguette tenait sa forme sinueuse de l’endroit où il l’avait trouvée – le lit d’une rivière peu profonde où se rejoignaient deux ruisseaux près de son camp de plantation d’arbres.
Pendant des années, j’ai emporté cette baguette avec moi partout où je déménageais. Elle a vécu avec moi à Victoria, et aujourd’hui elle vit avec moi dans le Yukon. Elle est exposée dans le salon de l’appartement dans lequel je vis maintenant avec mon mari. Ce dernier connaît toute l’histoire de cette baguette, et il sait bien qu’aujourd’hui je ne serais pas la personne que je suis si je n’avais pas passé ces quatre ans auprès de mon ex. La baguette est là pour rappeler qu’il faut savoir tirer les leçons de chaque relation, lesquelles te tordent et te modèlent, comme l’avait fait cette rivière avec ce bout de bois.
Statuette
2001 – 2010
Chatte, France
Après neuf ans de vrai grand amour, ma relation avec mon amie s’est terminée.
Pour mon anniversaire suivant, elle m’a offert une statuette en terre cuite qu’elle avait faite elle-même et qui représente une femme qui attend. Elle m’a demandé de lui envoyer une photo de l’endroit où je l’avais placée, mais je ne lui ai plus jamais donné de nouvelles.
Après la rupture, j’ai passé deux ans sur une toute petite île isolée près de l’Antarctique, à travailler sur un projet scientifique. Je me suis efforcé de trouver une grotte où laisser cette statuette, pour que personne ne la trouve jamais, mais je revenais à chaque fois la reprendre. C’était trop dur de la garder, et encore plus de l’abandonner.
Elle est donc restée cachée dans un coin secret de ma maison, or ce n’est pas là le sort que je souhaite à cet objet. Contrairement à ce que je pensais au début, je serai fier et réconforté que des gens puissent voir cette statuette et découvrir son histoire.
De plus, je pourrai enfin envoyer une belle photo à sa créatrice.
Deux petites pierres : une blanche et oblongue, capable de tenir debout toute seule, et une ronde et rouge-violette
Un an
Copenhague, Danemark
Nous nous sommes rencontrés en décembre, lors d’une conférence à Rome. Elle venait d’Allemagne et moi du Danemark. Pendant les heures de pause nous nous baladions à travers la ville et nous sommes tombés amoureux. Elle est partie de Rome tôt et mon cœur est parti avec elle.
Nous nous sommes revus en février l’année suivante. Malgré les doutes que nous avions sur notre relation, nous nous sommes retrouvés à Copenhague et sommes tombés amoureux de nouveau. Pendant les mois qui ont suivi, nous avons voyagé entre l’Allemagne et le Danemark afin de nous voir. Finalement, ces voyages constants et le désir d’une vie ordinaire sont devenus trop durs à supporter et notre amour en a souffert. Elle ne voulait pas quitter l’Allemagne et sa vie là-bas, et moi, je ne voulais pas quitter le Danemark. Nous nous sommes vus pour la dernière fois un jour de décembre – pratiquement un an après notre première rencontre.
Les objets :
Elle est venue au Danemark à Pâques. Nous sommes allés sur l’île de Sejerø et avons loué une petite maison dans un camping. C’était tôt dans la saison et il faisait froid, mais le soleil brillait et nous avons pris du plaisir à passer ces journées ensemble. De nouveau, nous sommes tombés désespérément amoureux – comme à chaque fois que nous nous revoyions. Un soir, après une longue balade en bord de mer, elle a sorti de sa poche une pierre qu’elle avait trouvée. Elle était blanche et oblongue, capable de tenir debout toute seule sur la table, d’une forme très masculine. À mon tour, j’ai sorti de ma poche une pierre que j’avais également trouvée sur la plage, elle était ronde et d’une forme douce, féminine. Nous avons regardé sa pierre masculine et ma pierre féminine, et avons senti à ce moment-là que notre amour était vrai.
Hutte africaine en pierre
43 ans
Bâle, Suisse
Nos chemins se sont croisés « par hasard » sur une plage de Zeebrugge. Il avait 16 ans et 4 frères et sœurs. Il venait des Pays-Bas. Moi aussi, j’avais 16 ans ainsi que 4 frères et sœurs, mais je venais de Suisse. Nous étions tous les deux à demi-orphelins ; nos pères étaient morts d’un cancer la même année. Entre nous, une amitié spéciale s’est installée.
En 43 ans, nous avons échangé d’innombrables lettres, mais nous nous sommes vus seulement cinq fois… jusqu’au jour où ma fille ainée m’a offert pour mon 58ème anniversaire un voyage à Amsterdam ! Avec un aplomb insolent, j’ai sonné à sa porte. Nous nous tenions face à face sans dire un mot. Nous avions tous les deux vieilli, et nous nous dévisagions, profondément émus.
Il m’a demandé : « Est-ce que tu es là pour dire adieu ? »
J’ai répondu : « Non, pourquoi ? »
Après une longue hésitation, il a dit : « J’ai fait un rêve dans lequel tu étais gravement atteinte d’un cancer ».
Six mois plus tard, j’ai été diagnostiquée avec une tumeur maligne.
C’était il y a cinq ans. Depuis, nous n’avons eu aucun contact. C’est pourquoi cette hutte africaine (portant l’inscription « notre seconde maison »), qu’il avait taillée dans la pierre pendant de longues heures, doit maintenant trouver sa propre maison.
Porte
20 janvier 1992 – 13 juillet 2014
Crikvenica, Croatie
Ceci est la porte d’entrée de ma maison, sur laquelle les amis de mon défunt fils ont écrit de magnifiques messages, des vers et des mots d’adieu pour lui.
Le souvenir
13 ans
Lincoln, Royaume-Uni
Un souvenir des meilleures et pires vacances de ma vie, à Disney World en 1997.
Tu te tenais à l’entrée et tu nous promettais qu’un jour, tu nous y conduirais à nouveau… Maman te disait de ne pas faire de promesses que tu ne pourrais pas tenir.
J’ai renoncé à chercher la raison pour laquelle tu as abandonné tes deux petites filles le jour où j’ai compris qu’aucune explication ne m’aiderait à te pardonner.
Merci pour toutes les leçons que tu m’as enseignées et pour la force que j’ai trouvée en moi après ton départ. Tu as fait ça sans même le savoir, sans même être là.
Magnétophone et enregistrement audio
50 ans
Tôkyô, Japon
En 1968, il y a 50 ans exactement, mon père est décédé, nous laissant seules, ma mère et moi. À l’époque, j’avais à peine un an.
Dans notre autel bouddhiste familial, il y avait toujours un paquet soigneusement fermé. Très souvent, ma mère m’avertissait de ne pas l’ouvrir. Pour satisfaire ma curiosité, elle m’avait dit qu’il s’agissait d’un magnétophone avec un enregistrement de la voix de mon père du temps de son vivant.
Ma mère avait emballé et scellé ce magnétophone, à cause d’un film italien qu’elle avait vu (il doit évidemment s’agir de L’Incompris de Comencini). Dans l’une des scènes, un petit garçon, orphelin de mère, trouve une cassette et, en l’écoutant, entend la voix de sa mère. Celle-ci lui manquait tellement qu’il réécoutait sans cesse la cassette jusqu’à ce qu’un jour il ne l’efface par erreur.
Elle fut si affectée par épisode du film qu’elle décida d’emballer le tout soigneusement et de le ranger au fond de l’autel, afin d’éviter que son enregistrement ne connaisse le même sort tragique.
Comme c’est ironique de se résigner à ne plus entendre une voix aimée, de peur de la perdre !... Considérant qu’il était grand temps qu’on se libère de ce sortilège, j’ai demandé à un technicien du son de nous faire écouter cet enregistrement qui, entre temps, était devenu une pièce d’antiquité.
On y entend les voix douces et pleines d’amour de ma mère et de mon père qui m’encouragent à chanter, m’applaudissant et m’acclamant. Je venais juste d’apprendre à chanter.
Une cassette VHS détruite avec l’enregistrement du mariage de mon père
Milieu des années 90 – 2009
Denver, États-Unis
Mes parents se sont séparés après 26 ans de mariage.
Peu après, mon père a entamé une relation avec une femme qui travaillait dans son bureau. Elle voyait en lui une machine à sous. Elle l’a pourchassé, l’a épousé, puis, juste après, a démissionné et n’a plus jamais travaillé. Lui a continué à travailler à plein temps, puis, enfin retraité, a repris un emploi pour financer les innombrables dépenses de son épouse. Elle s’est mise à dormir toute la journée et à passer ses nuits à acheter des trucs insensés sur le canal Home Shopping Network. Elle a détruit mon père financièrement et émotionnellement.
Quand il a été diagnostiqué en phase terminale d’un cancer et qu’on lui a dit qu’il ne lui restait qu’un mois à vivre, les manies d’accumulation d’objets de sa femme l’ont empêché de recevoir les soins palliatifs dans sa propre maison. Et ce, alors que son assurance maladie ne couvrait que les soins et pas le placement dans un centre de soins palliatifs.
À la fin, elle a essayé de le mettre dans un centre d’accueil pour indigents en l’empêchant d’utiliser sa propre épargne retraite pour couvrir les frais de placement en hospice, parce que cela aurait réduit la somme d’argent qu’elle recevrait à sa mort.
Ma mère, femme qu’il avait quittée, et sa propre mère de 91 ans, prirent à leur charge les soins qui s’élevaient à 1200 dollars par semaine. Déjà tendues, les relations ne firent qu’empirer au fil du temps. Les employés de l’hospice nous ont conseillé d’éviter tout contact avec son épouse.
À la mort de mon père, ma sœur, la mère de mon père, ses frères et sœurs, son ex-femme et moi avons tous refusé d’assister à ses obsèques afin d’éviter cette horrible femme.
Vous pouvez imaginer le choc (et l’horreur) quand j’ai découvert, quelques années plus tard, cette cassette avec l’enregistrement de la cérémonie du deuxième mariage de mon père. J’ai appelé ma sœur et la décision est vite tombée – la cassette devait mourir.
Ce que vous voyez là est passé sous les roues de ma voiture, a été transpercé par un tournevis, ciblé par un fusil plusieurs fois de suite, scié en deux, coupé à la hache, et la pellicule a été brûlée.
Ce fut hautement thérapeutique.
Une prothèse de jambe
Printemps 1992
Zagreb, Croatie
Dans un hôpital de Zagreb, situé rue Božidarevićeva, j’ai rencontré une belle, jeune et ambitieuse assistante sociale du Ministère de la Défense. Lorsqu’elle m’aida à trouver certains matériaux dont j’avais besoin, en tant qu’invalide de guerre, l’amour est né.
La prothèse a duré plus longtemps que notre amour.
Elle était d’un matériau plus solide !
Lettre
1969
Roxana, IL 62084, 133 E. Third Street, Etats-Unis
Cette lettre date de 1969 environ. Elle fut écrite par un homme avec lequel je suis sortie la veille de son départ à l’armée. La lettre est à la fois encourageante et triste, parce que nous savions que la rupture était inévitable et que nous ne nous reverrions plus.
Je l’ai gardée pendant 48 ans.
Et non, nous ne nous sommes plus jamais revus.
Robe de mariée
19 novembre 2014 – 28 juin 2016 / 2 ans
Istanbul, Turquie
Nous avons fait connaissance en 2014 par le biais d’amis communs. Nous avons décidé de nous marier le 24 mai 2015, et avons fêté nos fiançailles le 1er août 2015. Son grand rêve était de se marier en été, il a donc fallu attendre pendant un an.
Nous avons choisi la date du 9 juillet 2016 et avons commencé les préparatifs.
Une semaine avant sa mort, nous avons fait faire les photos de « pré-mariage ».
Le soir du 28 juin 2016, il quitta son poste à l’aéroport, et attendait son bus pour rentrer à la maison quand il s’est trouvé au milieu d’une attaque terroriste.
C’est ma robe de mariée qui illustre au mieux le jour, où je veux me souvenir de lui.
Disque en gomme-laque
Année 1942
Cologne, Allemagne
Mon père souhaitait de tout cœur devenir chanteur d’opéra. À 15 ans déjà, il avait commencé à travailler sa voix et suivait des cours de chant.
En 1942, à 18 ans, il offrit à son premier amour un enregistrement sur lequel il chantait Adelaïde, un air de Schubert.
Puis il dut partir à la guerre. Il fut grièvement blessé – un schrapnel lui perça la gorge et endommagea ses cordes vocales. Dieu merci, il guérit durant sa captivité chez les anglais…
Sa voix était cependant irrémédiablement abimée et son rêve de devenir chanteur d’opéra s’évapora. Pour ajouter à son malheur, une fois rentré de la guerre, il apprit que sa petite amie avait entretemps commencé à voir quelqu’un d’autre.
Puis mon père rencontra ma mère. Il en tomba amoureux et l’épousa. Ils eurent des enfants, et vécurent heureux jusqu’à sa mort.
À la mort de la première amie de mon père, ses fils me donnèrent cet enregistrement qu’elle avait gardé toute sa vie.
Livre – Paul McKenna, Je peux vous faire perdre du poids
Quatre ans
Horncastle, Royaume-Uni
C’est mon ex qui m’offrit ce livre… Vous avez compris, non ?
Notre relation, qui avait commencé dans la joie et la tendresse, connut une fin tout à fait opposée. Si beaucoup d’éléments concoururent à notre séparation, la cause principale fut, à mon avis, sa tendance obsessionnelle à vouloir tout contrôler. Mon physique lui posait problème, ce qui explique qu’il m’ait offert le livre « Je peux vous faire perdre du poids ». Pour moi, ce livre illustre parfaitement ce qu’était notre relation. Lorsqu’il me l’offrit, je fus profondément meurtrie. À présent, avec le recul, ça me fait sourire. Je ressens aussi un grand soulagement : Dieu merci, je ne l’ai pas épousé !
Je n’ai pas fait exprès de conserver ce livre, il a dû passer à travers les mailles du grand nettoyage que j’ai fait après notre rupture. Je n’ai pas de rancœur envers mon ex. Je ne ressens pas non plus de colère quand je repense à notre relation ou à la manière dont elle s’est terminée. Je m’en veux seulement à moi-même de ne pas être partie plus tôt, j’aurais dû le quitter des années plus tôt, mais j’ignore pourquoi, je restais…
Cela fait longtemps que nous avons rompu, et je dois dire en toute honnêteté qu’il ne m’a jamais manqué, pas même un instant.
Ce livre est l’un des derniers vestiges de cette relation. Je suis vraiment contente de pouvoir m’en séparer.
Un petit cochon en caoutchouc
Février 2012 – janvier 2013
Jérusalem, Israël
Il m’a donné ce petit cochon lorsque nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’un échange étudiant aux États-Unis. C’était une plaisanterie entre nous : lui, il adorait le lard et moi, je refusais toujours d’y goûter parce que ma religion le prohibait.
Nous avons passé de nombreuses soirées dans notre appartement, à boire du vin et cuisiner. À nous aimer et cuisiner. À nous aimer et nous chamailler. « Alors, on fait quel plat en premier ?! » Tant de moments passés ensemble à nous enrichir l’un l’autre, échangeant nos souvenirs de familles et partageant nos plats préférés. Nos coutumes et nos vêtements étaient si différents, nos mets d’Israël et du Danemark aussi. Et pourtant, nous étions si semblables !
Nous nous aimions d’un amour pur et profond, nous aimions nos différences et nous savions tous les deux que c’était là aussi notre charme. Imaginer les enfants que nous pourrions avoir me procurait une joie aussi grande que j’avais gagné à la loterie. Mais pour moi, il était trop difficile de changer le cours de ma vie, de faire de la peine à mes parents qui voulaient que je sois heureuse – avec un garçon juif. J’ai pris la mauvaise décision. Une décision qui n’était pas totalement et consciemment la mienne.
Me voilà maintenant à vingt-sept ans, telle une petite enfant qui apprend à marcher, apprenant que je peux prendre mes propres décisions dans la vie, entièrement… Ce n’est que maintenant que je réalise que tomber amoureuse a changé le destin qui m’était tracé, et j’en éprouve une grande reconnaissance.
Peut-être ai-je évolué trop tard pour cette si merveilleuse personne, mais je sais qu’il n’est jamais trop tard pour changer.
En regardant ce petit cochon, vous aurez un aperçu de notre histoire, et j’espère que vous et moi, nous aurons le courage de prendre nos propres décisions, consciemment, et la force d’y rester fidèles.
Je suivrai toujours ce que me dit mon cœur !
Robe de mariée (Simone Rocha) + chaussures (Miu Miu)
Janvier 2014 – rencontre // juillet 2015 – mariage // novembre 2015 – la fin
Florence, Italie
Vous allez peut-être penser que c’est fou.
J’ai quitté les États-Unis pour l’Italie quand j’avais 19 ans. Tommaso m’a suivie dans une rue de Florence. Il était assez beau, et moi j’étais seule. Nous avons commencé à sortir ensemble au début du mois de janvier 2014. Au bout de deux semaines de relation, il m’a menti sur l’endroit où il travaillait. Une amie m’a avertie que c’était mauvais signe, mais je ne l’ai pas crue. Une année plus tard, en novembre 2014, à Rome, il m’a demandée en mariage. Nous nous sommes mariés le 4 juillet 2015 à Florence.
En novembre, j’ai appris qu’il était dealer, qu’il couchait avec d’autres femmes, qu’il avait volé mon ordinateur et l’avait revendu, qu’il prenait de l’argent dans mon porte-monnaie, et qu’il n’avait jamais fait aucun des boulots dont il m’avait parlé. Quand il a disparu, sans raison, pendant quatre jours, je l’ai banni de ma vie.
La meilleure chose dans notre relation reste ce que j’ai ressenti en portant cette robe et ces chaussures. Ce jour-là, j’étais vraiment parfaite.
Deux petits napperons décorés de noms et de signes du zodiaque
2004 – 2008
Zagreb, Croatie
Gémeaux et Capricorne
Les différences entre eux sont immenses. Les Gémeaux sont un signe de l’air et le Capricorne un signe de terre.
Aussi différents que le jour et la nuit.
Le Capricorne est sérieux, persévérant, têtu, alors que les Gémeaux sont immatures, renoncent facilement et manquent de fermeté.
Ils peuvent se supporter mutuellement et s’entre-aider. Chacun a la volonté de s’adapter à l’autre, mais c’est presque impossible.
Quand il s’agit d’Éros, leurs différences sont insurmontables. Ici, ni passion, ni émotion. Toute l’expérience est tiède, sans plaisir ni jouissance. Du coup personne ne fait le moindre effort et ils peuvent rester abstinents des jours entiers.
Voilà ce que les astres disaient de notre combinaison… et nous, nous en riions…
Jusqu’à ce que ce rire tourne au vinaigre.
Escarpins blancs
Bloomington, Indiana
Elle a tenté de m’imposer ses goûts en matière de mode. Je déteste les escarpins blancs. Cette culture me sera à jamais étrangère.
Quel soulagement de ne plus avoir à les porter de temps en temps pour lui faire plaisir.
Le spectre d’une étoile
1 an
Pékin, Chine
Nous sommes tous deux astronomes. Pour mon 26è anniversaire, il m’a envoyé en cadeau le spectre d’une étoile de la constellation Orion. Cette étoile, du nom de pi3, est éloignée de la Terre par 26 années-lumière.
Il m’a dit : « Regarde, au moment de ta naissance, la lumière a quitté cette étoile, elle est passée à travers un espace interstellaire infini, à travers la poussière d’étoiles et des nébuleuses sans fin, et elle est arrivée ici après 26 années-lumière de voyage. Tout comme toi. À cet endroit précis, tu rencontres la lumière de ton étoile et moi, je te rencontre, toi ».
À ce moment-là, je n’entendais que les battements de mon cœur.
Bien qu’on ait rompu depuis, à chaque fois que je contemple Orion, je me souviens des moments splendides que nous avons passés ensemble.
Un article en finnois sur le karaté
Hiver 2005/2006
Slovénie
C’était un finlandais aux profonds yeux bruns. Nous pratiquions le même art martial japonais et vivions une histoire d’amour via internet. Ce fut une brève relation à distance. Quand je lui rendis visite en Finlande, tout a basculé. Il avait changé d’avis. Je suis rentrée de Finlande le cœur brisé. J’ai en souffert pendant longtemps.
Quand notre amour était encore en plein essor, je m’étais mise à apprendre le finnois. Cela lui plaisait que j’apprenne sa langue. Un jour, mon chéri m’envoya un article en finnois sur le karaté.
Aujourd’hui, je parle si bien le finnois que je pourrais facilement lui écrire des lettres d’amour enflammées…
Ampoule cassée
Le Cap, République d’Afrique du Sud
J’aimais bien prendre soin d’elle ; elle était si menue, si mignonne, si vulnérable. J’ai changé ses bougies d’allumage, installé une étagère, changé les pneus de sa voiture. J’ai tondu son gazon à deux reprises.
Le 25 juin, elle m’invita chez elle pour que je lui change une ampoule. Alors que j’étais en train de dévisser le culot, elle m’a dit : « Au fait, j’arrête toute cette histoire entre nous. C’est juste que ça ne fonctionne pas ». J’ai quitté sa maison, l’ampoule encore à la main.
Elle s’est exclamée : « Tu ne vas pas mettre la nouvelle ? N’est-ce pas le minimum que je mérite ? » Diable non, tu ne mérites rien de ma part !
Pendentif – tortue marine
17 novembre 2012 – 29 décembre 2014
Berkeley, Californie, États-Unis
Il a dit : « Je t’ai rapporté quelque chose de Hawaï ». Il était allé à Hilo pour rendre visite à sa femme qui vivait là-bas.
C’était un pendentif en forme de tortue marine très stylisée, attaché à une corde noire.
J’ai dit : « Je l’adore, je n’ai jamais vu une chose pareille ».
Il a dit : « Je pensais bien que tu allais l’aimer, ça vient d’un petit magasin près de notre maison. Il ne paie pas de mine, mais on peut y trouver des choses vraiment intéressantes ».
Juste avant Thanksgiving, il a organisé une soirée chez lui, à Berkeley. Quand je suis arrivée, sa copine Karin m’a ouvert la porte.
Elle a dit : « Entre, Jody ».
J’ai dit : « J’aime bien ton collier, en fait j’ai le même ».
Elle a ri, touchant des doigts le pendentif avec la tortue marine qui était à son cou.
Elle a dit : « C’est logique. Imagine le temps gagné en achetant aux deux copines le même cadeau ».
Son amusement me montrait qu’elle pouvait aimer Tom d’une manière qui m’était impossible.
Un collier peut être produit en masse, mais chaque cœur humain est unique.
Un pull d’indécision
2007 – 2010
Portland, Maine, États-Unis
Dès le début de notre relation, il a commencé à parler du pull incomparable qu’il voulait que je tricote pour lui. J’ai acheté de la bonne laine, mais ses critères ne cessaient de changer : un col étroit et rond, non, un col rond avec quelques boutons, non, des torsades – mais grises, non, couleur charbon… Je n’avais pas l’intention de commencer le tricot tant qu’il ne se serait pas décidé. Cela ne s’est jamais produit.
Au bout de trois ans d’heureuse vie commune, il m’a brutalement laissée tomber pour l’une de ses étudiantes de vingt ans plus jeune que moi. J’ai quitté la maison… avec la laine.
Dans mon nouvel appartement, un verre de vin toujours à mes côtés, j’ai tricoté ce p… de pull. Je savais que cela allait être une pièce immettable. Mon seul plan était d’inclure dans le tricot tous ses tatouages et les différentes encolures. Le reste est venu tout seul à mesure que je tricotais rageusement.
Une fois le pull terminé, ma meilleure amie (qui tricote aussi) et moi l’avons suspendu. Nous avons trouvé plein de symboles de notre relation dans tous les détails que j’ai spontanément intégrés pendant sa réalisation : il a l’air bien vu de devant, mais il s’effondre vu de dos. Est-ce que son cœur est du bon côté ? Non. Et il est assombri par sa vision changeante de la perfection. La manche droite est beaucoup plus longue, elle représente sa main dominante, son désordre obsessionnel compulsif et sa violence polie et passive qui régentait notre relation.
Je l’ai décroché il y a six mois. Ma copine tricoteuse a trouvé en ligne votre musée et m’a incité à vous contacter.
Je n’ai plus besoin de cette pièce. J’espère qu’elle vous plait.
Bouleversé par ces kaléidoscopes de solitudes rutilantes, je m’adresse à la belle brune qui tient la caisse. Elle-même récemment divorcée, elle me donne le contact d’une française liée au musée, et qui pourrait être intéressée par ma propre histoire…
À l’extérieur, je vois se profiler quelques tireurs d’élite tout au sommet de la Tour Lotrščak, postés là à l’occasion de la venue de Recep Erdoğan, prêts à viser n’importe quel cœur brisé passant dans la rue…
Je pénètre dans l’église située juste en face, la gréco-catholique Sts Cyrille-et-Méthode, pour récupérer un peu mon souffle. Elle ressemble beaucoup à St Nicolas de Myre, sur la rue Edmond-Rostand à Marseille… Des mosaïques flamboyantes de Hermann Bollé ponctuent les murs. Une messe byzantine commence à l’instant. C’était le rite suivi par les Templiers… celui de Marie-Madeleine… aux merveilleux chants quasi-elfiques… Je dois absolument contacter cette Charlotte, pour lui parler de mon histoire avec Marie et Sakiko… une histoire absolument incroyable débutée en 2007, entrelacée de coïncidences déroutantes, de coups d’éclat mélodramatiques et de renversements de situation complètement irrationnels… la mise en œuvre de cet anti-Ready Made me permettra d’élaborer par la suite une narration littéraire… Il faudra que je déniche un objet représentatif de cette histoire démentielle. Je pense au masque de Inari, le Dieu du saké qui supervisa tous mes séjours au Pays des Chrysanthèmes. Ça m’embêterait beaucoup de m’en débarrasser…
Je dîne seul au Bistro Fotic… le seul lieu véritablement occulte de la ville. C’est le restaurant de tous les bouts du monde, un espace-temps tissé de dentelles voilant de nombreuses photos désuètes d’enfants non viables… une caverne à la fois platonicienne et apocalyptique souvent emplie de jeunes femmes ivres. J’admire une superbe jeune femme brune assise en face de moi, à deux tables de distance. Les cuisses serrées, les seins ardemment compressés par une nuisette en dentelles noires, elle se signe avant de déguster sa soupe aux fruits de mer. Il est dans la logique que Sakiko m’appelle alors, du fond de son Kansai, au moment précis où j’attaque mon plat de pâtes aux truffes, assis au sein des limbes de cette divine tragédie qu’est ma vie. Elle me prodigue alors des révélations absolument inouïes, d’obédience tout à fait spectrale et fantomatique.
Je comprends alors subitement quel est l’objet qui servira de symbole vivant et agissant à la Brisure ouverte de mon Cœur saignant : le sac à mains de l’aristocrate désargentée Sakiko, descendante directe du clan de daimyô Inaba, dont le portefeuilles et la housse de miroir à main étaient directement taillés dans le kimono de son arrière-grand-mère, et qui se retrouva dans la trousse de Marie après une série d’événements superlativement imprévisibles.
Aujourd’hui, me voici paradisiaquement emprisonné dans la gueule délicieusement liquide d’une Tigresse du Hubei.
Mais c’est une autre histoire.